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Un an après la Marche verte, le soutien indéfectible de l’Europe – par Jillali El Adnani

Un an après la Marche verte, la diplomatie européenne ne doute plus de la légitimité du retour du Sahara occidental au Maroc. Les chancelleries occidentales participent ouvertement aux cérémonies officielles commémorant l’événement, actant ainsi la reconnaissance de fait de la souveraineté marocaine. À l’inverse, l’Algérie s’emploie alors à fabriquer un mouvement séparatiste ex nihilo, le Polisario, dans l’unique objectif de freiner l’ancrage régional du Maroc et de remodeler les équilibres du Maghreb.


Pr. Jillali El Adnani

Depuis 1945, la question du Sahara s’inscrit dans la continuité du mouvement national marocain, conduit aux côtés du sultan Mohammed Ben Youssef. Celui-ci refusa catégoriquement la nouvelle ligne frontalière destinée à annuler celle dite de Trinquet. Cette ligne, tracée en 1938 et à l’origine du conflit avec l’Algérie en 1963, fut expressément rejetée par le sultan Mohammed V dès 1952. Le colonel de Saint-Bon, du cabinet militaire, rapporte alors que le souverain s’oppose à cette délimitation qui efface la ligne des douanes marocaines, pourtant fixée par les traités de 1901, 1902 et 1910, lesquels reconnaissaient la frontière méridionale du Maroc avec l’Afrique occidentale. Un document classé très secret, daté du 10 mars 1952, confirme d’ailleurs que la «ligne de Niamey» tracée en 1909 n’a jamais été reconnue par le sultan– et ce, jusqu’en 1952.

Le discours prononcé dans la localité de M’hamid El Ghizlane, le 25 février 1958, par le sultan Mohammed V avait fixé avec une grande netteté l’objectif de la récupération des provinces sahariennes– objectif qui allait progressivement structurer la vie politique intérieure et la diplomatie du Maroc jusqu’en 1975. Devant les notables sahariens, il réaffirma que «le Sahara a toujours fait partie intégrante du Royaume» et qu’il revient de plein droit au Maroc.

Les archives diplomatiques françaises rapportent que Mohammed V invoquait les liens anciens de la bey‘a– acte d’allégeance politique et religieuse– unissant les tribus sahariennes au Trône chérifien. Ce discours, inscrit dans la continuité historique du royaume, préfigurait déjà la rhétorique de 1975: celle d’une récupération pacifique d’un territoire lié à la monarchie par l’histoire, la foi et l’obéissance au sultan. La Marche verte répondait ainsi à une double exigence: affirmer la souveraineté nationale et restaurer le consensus intérieur, alors que Hassan II cherchait à prolonger et à consolider le capital de légitimité hérité de son père.

Les Accords de Madrid, conclus le 14 novembre 1975, marquèrent l’aboutissement de cette longue stratégie. Ils confirmèrent le retour du Sahara au Maroc et consolidèrent l’unité nationale. Cependant, l’Espagne tenta, dans ses manœuvres de fin de règne colonial, d’imposer l’idée artificielle d’un «Sahara espagnol» en élargissant abusivement la dénomination de «Río de Oro». Cette manipulation juridique induisit les Nations unies en erreur, les conduisant à fonder leur lecture sur la notion de terra nullius et sur une confusion entre peuple et populations.

À partir de 1973, et plus encore après la Marche verte, l’Algérie s’efforça de reprendre à son compte ce projet colonial espagnol, en s’appuyant sur la Jemaâ et sur le principe d’autodétermination que Madrid invoquait déjà depuis 1970.

À ces éléments diplomatiques s’ajoutent les traités secrets ou officiels conclus entre la France et l’Espagne, mais aussi le traité maroco-britannique de 1895, qui reconnaît la marocanité du Sahara au-delà du cap Bojador. De même, le traité franco-allemand du 4 novembre 1911 confirmait la souveraineté marocaine sur le Sahara, au-delà même des frontières actuelles, tout en rejetant la ligne de Niamey, tracée arbitrairement par les officiers français pour séparer les zones sous autorité de l’Algérie de celles relevant de l’Afrique occidentale française.

L’indéfectible soutien européen: le premier anniversaire de la Marche verte

Un rapport de 23 pages, rédigé à la fin de l’année 1975 par le diplomate français Jean-Baptiste Raimond, alors ambassadeur de France à Rabat, constitue l’un des documents les plus précis produits par le Quai d’Orsay sur la séquence historique de la Marche verte et la conclusion des Accords de Madrid. Son objectif était d’évaluer les enchaînements politiques, militaires et diplomatiques ayant conduit à la fin du mandat espagnol au Sahara, ainsi que les positions respectives du Maroc, de l’Espagne, de la Mauritanie, de l’Algérie et des Nations unies. Adressé à la Direction d’Afrique et du Levant, ce texte témoigne du réalisme lucide de la diplomatie française face à une recomposition rapide des équilibres régionaux.

Le rapport accorde une attention particulière à la réaction algérienne. Le 14 novembre 1975, Houari Boumediene déclare que l’Algérie ne reconnaît pas les Accords de Madrid, qu’il juge contraires au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Une semaine plus tard, il affirme dans la presse que le Sahara occidental relève de la «zone de sécurité» de l’Algérie. Cette rhétorique illustre la volonté d’Alger d’empêcher toute jonction territoriale entre le Maroc et la Mauritanie. Le rapport souligne qu’en adoptant cette posture, l’Algérie devient une «partie intéressée et concernée», perdant ainsi la neutralité qu’elle prétendait maintenir jusque-là.

La suite du rapport révèle une compréhension fine des rapports de force régionaux. Le Maroc, note Raimond, a su transformer la Marche verte en un instrument diplomatique d’une rare efficacité, alliant pression symbolique, dialogue et légalité internationale. L’Espagne, de son côté, a choisi la voie du réalisme politique, tandis que la Mauritanie a cherché sa sécurité dans une alliance avec Rabat. L’Algérie, en revanche, a perdu sa position de neutralité initiale en s’enfermant dans une logique d’affrontement idéologique.

Aux yeux du Quai d’Orsay, les Accords de Madrid représentent un modèle de décolonisation pacifique, conforme à la Charte des Nations unies, et ouvrent une nouvelle phase dans les relations du Maroc avec l’Afrique et le monde arabe.

Mais l’élément le plus révélateur des archives de l’ambassadeur Raimond demeure cette note relative à la participation de l’ensemble des représentants européens à la première parade commémorative de la Marche verte, organisée par feu Hassan II le 6 novembre 1976. Tous les ambassadeurs européens présents à Rabat, y compris Raimond lui-même, avaient accepté d’y assister– signe tangible d’un soutien discret, mais indéfectible de l’Europe à la politique saharienne du Maroc. Raimond rapporte dans un contexte difficile cette vérité historique sur le soutien européen à la marocanité du Sahara:

«Je viens de recevoir une invitation émanant du ministre de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie à assister à la cérémonie que le Roi présidera à l’occasion du premier anniversaire du départ de la Marche verte le samedi 6 novembre à 9 heures. Mes collègues européens estiment, semble-t-il, qu’il n’y a pas d’inconvénient à se rendre à cette invitation et à assister au défilé. C’est également mon avis sauf objection du Département».

Jean-Batiste Raimond, ambassadeur de France à Rabat, note du 20 janvier 1976. Archives de La Courneuve, ministère des Affaires étrangères, ANMO, Maroc-Sahara occidental, 1972-1982, Carton 965.

L’Algérie après l’an I de la Marche verte?

Un rapport diplomatique français daté du 4 février 1976, rédigé à Alger par l’ambassadeur Guy de Commines et classé diffusion réservée, éclaire l’origine du conflit du Sahara. Contrairement au discours idéologique algérien, la question du Sahara n’est alors ni un combat tiers-mondiste ni une revendication «sahraouie» spontanée: elle apparaît d’abord comme une affaire personnelle du président Houari Boumediene.

Le document montre que ce dernier s’est engagé dans le dossier au nom de son prestige intérieur et de son ambition de faire de l’Algérie la puissance dominante du Maghreb. Reconnaître la souveraineté marocaine reviendrait, pour lui, à perdre la face et à fragiliser son autorité dans le monde arabe comme en Afrique. Le conflit prend dès lors une dimension politique, symbolique et identitaire, bien plus que territoriale.

Le rapport révèle aussi que l’Algérie a choisi délibérément la voie d’une guerre indirecte contre le Maroc, en armant, finançant et encadrant le Front Polisario. L’objectif n’était pas de remporter une victoire militaire, mais d’user le Maroc et de prolonger le conflit afin d’en affaiblir l’influence régionale.

L’ambassadeur De Commines conclut que l’issue du conflit se jouera sur le terrain, et non dans les résolutions internationales. L’histoire lui donnera raison: la construction du Mur de Défense marocain dans les années 1980 renversa l’équilibre stratégique et mit un terme à la guerre de mouvement.

Contrairement au discours officiel algérien, qui présente la question du Sahara comme une cause «révolutionnaire» ou «tiers-mondiste», De Commines observe que le dossier est en réalité verrouillé au sommet de l’État, concentré entre les mains d’un seul homme: Houari Boumediene. Celui-ci ne défend pas uniquement une ligne politique, mais joue sa crédibilité personnelle et son prestige international.

Lors d’un entretien tenu le 6 novembre 1975– jour même de la Marche verte– Boumediene confie à De Commines que reconnaître la souveraineté marocaine reviendrait, pour lui, à «perdre la face devant le monde entier» et à affaiblir son autorité au sein de l’appareil d’État. L’ambassadeur note également que l’Algérie a compris très tôt qu’une guerre directe contre le Maroc serait coûteuse. Elle opta donc pour une guerre par procuration: le Polisario fut armé, entraîné, encadré, hébergé et mandaté diplomatiquement par Alger.

Dans cette logique, l’Algérie chercha à enfermer l’ONU dans le discours de «l’autodétermination», tandis que Rabat, sur le terrain, construisait progressivement les conditions matérielles du retour du Sahara à la mère-patrie.

Le rapport de Guy de Commines conclut sans ambiguïté: le conflit du Sahara n’est pas né d’une revendication interne des populations sahraouies, mais d’une construction géopolitique algérienne, élaborée pour contenir l’influence historique et régionale du Maroc. Dans la formation du front Polisario, rien n’indique l’émergence d’un projet étatique propre aux tribus locales; tout, en revanche, confirme la projection stratégique d’Alger, décidée à remodeler les équilibres du Maghreb post-colonial.

Guy de Commines, Ambassadeur de France à Alger, note du 4 février 1976 (page 1/2), Archives de La Courneuve, ministère des Affaires étrangères, ANMO, Maroc-Sahara occidental, 1972-1982, Carton 965.
Guy de Commines, Ambassadeur de France à Alger, note du 4 février 1976 (page 2/2), Archives de La Courneuve, ministère des Affaires étrangères, ANMO, Maroc-Sahara occidental, 1972-1982, Carton 965.

Pour finir, comme s’il s’adressait à nous en 2025, l’ambassadeur De Commines annonce d’entrée la couleur sur un régime verrouillé et tentant de jouer avec le feu:

«Dans cette capitale algérienne, fermée, où les mécanismes du pouvoir et l’élaboration des décisions sont mal définis, où les responsables réellement informés fuient les contacts, et où les fonctionnaires, même haut placés, ne savent rien ou ne parlent que sur instructions, lorsqu’ils en ont, il n’est pas aisé de faire le point de la situation actuelle. Le secret entoure le manège diplomatique dont les acteurs, au moins ceux que l’on connaît, ont été, ces derniers jours, Jalloud, Moubarak, Belkhodja, le Prince Saoud, l’Irakien Aziz. Du côté tunisien, quelques indications ont été données, qui n’ont d’ailleurs pas plu ici, ne serait-ce que parce que la rigueur de la thèse de l’autodétermination du Sahara ne se concilie guère avec la recherche de ce qu’on appelle les “Solutions acceptables pour tous”».

Par Jillali El Adnani

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