INTERVIEW AVEC MONSIEUR JEAN KOULAGNA*

Quel est le rôle de l’Institut Al Mowafaqa dans la promotion du dialogue des cultures et des religions?
L’Institut Al Mowafaqa comme son nom l’indique est une instance qui promeut le dialogue, le vivre ensemble; nous offrons une formation théologique et pastorale pour les responsables des églises au Maroc: coté catholique, c’est pour former les assistants pastoraux. Il n’y a pas beaucoup de prêtres, et on a besoin de certaines personnes qui peuvent suppléer le manque de prêtres. Nous formons aussi les pasteurs pour l’église évangélique au Maroc qui est l’église protestante officielle de tradition luthero-reformiste. Cet Institut a été créé en 2012 sur l’initiative du président de l’église évangélique au Maroc, à l’époque, qui était un français du nom de Samuel Amedrew, et de l’archevêque de l’époque aussi le père Vincent Lendel. Cette initiative a été possible grâce à quelque chose qui, initialement, était une faiblesse; Le christianisme au Maroc est très minoritaire; les chiffres officiels donnent 0,1%, donc ultra minoritaire et finalement cette minorité est devenue un atout; parce que partout où les chrétiens ne sont pas minoritaires, les catholiques feraient leur école à part et les protestants feraient la leur. Mais là, la minorité a favorisé qu’on puisse avoir cette expérience totalement inédite. Parce qu’à ma connaissance, une école qui met les catholiques et les protestants dans la même classe, avec les mêmes professeurs, je n’en connais pas. C’est très probablement l’unique dans le monde. Et cette unicité est accentuée par le fait que l’école se trouve dans un pays plutôt musulman. C’est une curiosité très intéressante. Donc, notre premier objectif, c’est cette formation théologique pour former les responsables des églises, des assistants pastoraux pour l’église catholique, et les pasteurs pour l’église protestante. Et très tôt, à côté de ces églises officielles, les églises informelles qui sont très nombreuses de tendance pentecôtistes et qu’on appelle les églises réveillées, et qui se réunissent plutôt dans des maisons; pour cette raison on les appelle les églises de maisons, se sont très vite intéressées. Du coup, on forme aussi les responsables de ces églises de maison pour deux raisons: déjà pour leur offrir une théologie plus ou moins classique, les aider à structurer leur théologie, et à structurer leur culte, à structurer leur discours, mais aussi les aider à déradicaliser un peu, parce que souvent, c’est les gens qui n’ont pour tout atout que leur foi, leur volonté, et n’ont souvent aucune formation et ils tiennent parfois des discours un peu radicaux. Donc, la formation théologique leur permet de redescendre leurs pieds sur terre, et de réaliser que les catholiques et les protestants traditionnels ne sont pas moins bien chrétiens que ça, que c’est des frères et des sœurs, de réaliser aussi que les musulmans- dans le pays desquels nous sommes et qui nous accueillent- ne sont pas des païens, ce sont des croyants, ce sont des hommes et des femmes de foi. Le but est de considérer l’humain. C’est le côté théologique; nous faisons une théologie tout à fait spéciale dans une perspective œcuménique.
La deuxième chose que nous faisons, c’est une formation dans le dialogue des cultures et des religions. Là nous sommes dans le champ du dialogue interreligieux, mais aussi interculturel. C’est un programme que nous offrons tous les ans sur un semestre. La session de cette année vient de commencer avant-hier et nous appelons ça le certificat Al Mowafaqa pour le dialogue des cultures et des religions sous la tutelle de l’Institut de théologie des religions et l’Institut catholique de Paris. La théologie, elle est sous la double tutelle de l’Institut catholique de Paris pour les catholiques, et la faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg pour les protestants. En théologie, à la fin, en quatre ans- parce qu’on fait une licence LMD en trois ans, mais nous tirons ça sur quatre ans, parce que nos étudiants sont des responsables dans des églises et ne sont pas disponibles pour faire du plein temps – les protestants obtiennent une licence de théologie protestante de Strasbourg, et les catholiques obtiennent un diplôme universitaire d’études théologiques. Sur le plan du niveau, c’est le même niveau, mais les églises catholiques et les églises protestantes ne sont pas organisées de la même façon, ni au niveau de leur fonctionnement, ni au niveau universitaire; c’est ce qui explique la différence. Ce sont là les deux aspects de notre fond de commerce, si vous voulez qu’on appelle ça comme ça, et avec ce deuxième aspect, nous sommes de plein pied dans la thématique du dialogue interreligieux.
Question du Magazine: En quoi le christianisme, en terre d’Islam, est-il favorable au dialogue interreligieux ?
Personnellement, je suis un peu allergique à cette expression dialogue interreligieux, dialogue des religions; je préfère parler de dialogue inter-foi sauf que le français ne dit pas ça; en anglais, ça se dit interfaith relations, je préfère ça. Quand je vous rencontre, ça ne m’intéresse pas de rencontrer l’homme de religion musulman, cela m’intéresse de rencontrer l’homme de foi musulman, et de me présenter comme homme de foi chrétien; Pour moi, religion ça fait toujours un peu porteur de conflit, par expérience, c’est cela ce que l’histoire a démontré en tout cas. Donc, notre rôle ici, c’est d’aider déjà les chrétiens entre eux à se rencontrer, à se parler, à mieux se connaitre, à s’accepter et à se reconnaitre; mais aussi d’aider les chrétiens en général à entrer en contact avec le monde musulman qui nous accueille et nous protège. C’est pourquoi je préfère parler de dialogue inter-foi.
Pensez-vous que le Royaume du Maroc, en tant que terre d’Islam, favorise le dialogue interreligieux ?:
Absolument et la visite du Pape en est une parfaite illustration. Les conditions sont favorables pour un dialogue interreligieux. Cela est due probablement à la volonté politique de Sa Majesté le Roi Mohammed VI et de son entourage, mais aussi à des circonstances un peu plus accidentelles comme la migration par exemple. Le Maroc est devenu une plaque tournante de l’émigration vers l’Europe, aussi bien qu’une plaque tournante du dialogue interreligieux; parce que les gens qui se déplacent transportent leur foi, leur religion; non seulement ils les transportent, mais ils les transportent chemin faisant et ils les questionnent. Cette question avait fait l’objet d’un colloque organisé par l’Institut sous le thème « les mobilités humaines et les trajectoires des monothéismes ». Il y a quelque chose qui m’a marqué dans le discours de Sa Majesté lors de la visite du Pape, et c’est un extrait que j’ai mis sur mon blogue personnel. C’est lorsqu’il dit que la tolérance a fait son chemin et qu’il est temps de dépasser la tolérance pour avancer vers ce qu’il appelle la co-connaissance. C’est justement cette expérience que nous vivons ici. Du fait que cette façon de parler vienne de Sa Majesté, pour moi, c’est prophétique. Nous n’y sommes pas tout à fait, mais venant de lui, du haut sommet de l’Etat, il y a quelque chose qui est en train de bouger.
Question du Magazine:
Comment vous sentez vous au Maroc en tant que chrétien ?
Je suis au Maroc depuis deux ans et demi, et quand je viens au Maroc, je n’ai pas trop le sentiment d’être en terre étrangère. Le dimanche, je vais au culte normalement, je ne suis pas inquiété et je ne sens pas une pression quelconque. En tout cas, nous les chrétiens catholiques, protestants et même des églises dites der réveil qui sont au Maroc, chacun s’exprime, et chacun vit sa foi. Parfois, ce sont des marocains- je parle des églises de maisons- qui louent leurs maisons à des africains où à des gens qui viennent d’ailleurs et qui transforment le salon en église. Ce n’est pas très gentil sur le plan structurel, mais les marocains laissent faire; je crois que cela montre un état d’esprit, d’ouverture qui fait que les chrétiens ne se sentent pas étrangers.
* Pasteur, bibliste, Directeur de l’Institut Al Mowafaqa.
Préparé par Adnane Haidara.